Rurrenabaque – Au secours des singes d’Amazonie

6h du matin, le soleil se lève, j’ouvre un œil puis me rendors pour quelques instants. 7 heures, le réveil sonne et le coq cocoricote, une nouvelle journée dans la jungle commence ! Le dortoir se réveille, les volontaires sortent de leur moustiquaire, s’étirent et se dirigent vers le petit déjeuner que nous prenons autour d’une grande table commune. 8 heures, il est temps de nous diriger vers les tâches qui nous ont été assignées pour la journée, sous une chaleur déjà étouffante mais avec un grand sourire sur les lèvres ! Nous avons décidé de poser nos sacs deux semaines pour un volontariat et quelques recherches nous ont permis de tomber sur l’association ONCA, qui a pour but de préserver la forêt amazonienne et gère notamment un refuge pour animaux sauvages. A ce jour, l’ONG héberge des coatis et plusieurs types de singes : des singes-araignées, des capucins, des singes écureuils saïmiris et même un singe nocturne, soit une trentaine d’animaux en tout – sans compter chiens, chats, poulets, etc. La plupart des pensionnaires ont été détenus illégalement et récupérés par les autorités : vente d’animaux sauvages sur les marchés, bêtes de cirque, orphelins dont la mère a été braconnée, animaux de compagnie.

 

En remontant en pirogue depuis Rurre, ONCA est juste là, au détour de la rivière !

 

Mais commençons par le commencement : quel moyen de transport pour arriver dans la jungle bolivienne ? Nombreux sont les touristes – y compris avec un budget serré – qui préfèrent rejoindre Rurrenabaque par voie aérienne ; nous avions en effet entendu des histoires terrifiantes sur la route qui permet d’arriver de La Paz et avons longuement hésité avant de prendre le bus. Cependant, les conseils pris sur place et le coût 10 fois plus élevé du ticket d’avion nous ont vite convaincus d’opter pour les 15 heures de bus de nuit… sur la route de terre le long d’un précipice (!). En réalité, le trajet fut bien moins stressant et inconfortable qu’attendu. Les zones « tendues », où l’aide-chauffeur doit descendre pour guider le chauffeur afin de ne pas heurter (et précipiter dans l’abîme) les véhicules venant en sens inverse méticuleusement garés sur le côté, ont été peu fréquentes et bien maitrisées à une vitesse d’escargot. Et les travaux en cours (nombreux tunnels de contournement des zones les plus dangereuses) que nous avons pu observer laissent présager d’une amélioration significative sur les années à venir. L’épisode le plus désagréable aura sans doute été la pause dîner à Caranavi, où une faune peu amène et avinée rôde autour des voyageurs qui attendent avec impatience que leur chauffeur rallume le contact…

Arrivés à « Rurre » comme la surnomme les locaux, nous nous faisons plaisir d’un petit déjeuner français proche de l’authentique à l’improbable boulangerie tricolore du village : croissant, pain au chocolat, jus d’orange et café, un luxe auquel nous n’avions pas goûté depuis bien longtemps ! Nous retrouvons en milieu de journée Andrès, le responsable de l’association, ainsi que Sofie et Emil, un couple de Danois qui arrive le même jour que nous, pour la même durée. Notre petite troupe se dirige ensuite vers le « port » où sont amarrées les pirogues des locaux et c’est parti pour l’aventure, nous quatre nouveaux volontaires en équilibre précaire avec nos gros sacs, et le chef à la barre à l’arrière. La rivière Beni est large et le courant plus fort que ses eaux clames ne le laissent penser… Il est facile d’imaginer le monstre qu’elle devient au plus fort de la saison des pluies : il paraît que des tourbillons et bulles gigantesques se forment, empêchant parfois toute navigation pendant plusieurs jours. Nous passons un méandre, puis deux et atteignons le terrain de l’association. Nous faisons connaissance avec le reste de l’équipe « permanente » (Nathalie, Stéphane, Alejandra et Gill) et avec les autres volontaires moyen-terme (Julien et Anna). De nouveaux volontaires (Mike, Anthea, Madison, Rose, Sam, Josh, Damian) viendront ultérieurement grossir nos rangs alors que d’autres partiront, assurant une présence à peu près continue. Et c’est parti pour 15 jours de bénévolat dans la forêt amazonienne !

 

Home sweet home

 

Reprenons donc la journée où nous l’avons laissée : à 8 heures, nous commençons par nettoyer les cages des animaux qui y ont passé la nuit. Au même niveau que la zone d’habitation « humaine » mais un peu en retrait à l’arrière, se trouve la zone des coatis et singes araignées, alors que plus en hauteur à environ 200 m de marche, c’est le territoire des capucins et des saïmiris. Nous nettoyons les déjections animales avec des balais, brosses et de l’eau claire, sauf le lundi qui est « jour de javel » où il faut pulvériser l’intégralité des cages avec le produit, bien frotter tous les éléments puis tout rincer à l’eau claire – un processus fastidieux qui n’a heureusement lieu qu’hebdomadairement. Le reste de la journée se divise généralement entre surveillance et observations des animaux, travaux de construction, jardinage et préparation des repas.

 

Un facétieux saimiri ou singe-écureuil

 

Squidget, un des capucins, s’affaire à démolir le toit d’une cabane

 

La surveillance des animaux est certainement l’aspect le plus ludique et intéressant de notre travail : nous passons de nombreuses heures au contact des coatis et singes-araignées. Les capucins et saïmiris étant plus difficile à gérer et déjà plus sauvages, seuls les volontaires « long-terme » sont autorisés à s’en occuper afin de minimiser les nombres d’interactions avec de nouveaux humains et les réactions potentiellement violentes des singes. Les animaux sont attachés par de longues laisses pourvues de mousquetons à des cordes horizontales de plusieurs mètres tendues entre deux arbres dans la forêt. Ils peuvent ainsi se balader dans un périmètre relativement grand et chercher de la nourriture dans des conditions naturelles ; nous les changeons de corde régulièrement pour éviter l’ennui. Une surveillance constante est requise : les animaux emmêlent parfois leur laisse autour des branches et se retrouvent coincés ; les coatis sont particulièrement mauvais en gestion de laisse et font de sacrés nœuds entre les troncs et ramifications, se retrouvant parfois bêtement pendus au bord de l’étranglement, heureusement que ces blaireaux de jungle sont résistants ! Au contraire, les singes-araignées sont beaucoup plus malins et comprennent la plupart du temps comment décoincer leur longe. Il faut également amener à ce joyeux petit monde repas et en-cas 5 fois par jour, en quantité modérées pour ne pas freiner la recherche d’aliments dans l’environnement (noix, plantes, insectes…).

Les coatis sont au nombre de trois : une femelle (Pinky) et deux mâles (Stinky et Spikey). Pinky est la plus craintive des trois, elle sursaute souvent quand on approche et se débat férocement quand nous devons la manipuler pour la décoincer, il vaut mieux se munir de gants ! Elle émet régulièrement des petits couinements aigus et passe ses journées à fouiner le sol activement et à déterrer de beaux insectes juteux. Stinky est le plus gentil, il se laisse facilement toucher et vient parfois de lui-même sur nos bottes, voir grimpe sur nous s’il se retrouve en fâcheuse posture en haut d’un arbre. Spikey est un véritable hyperactif, toujours prêt à mordre par jeu, chassant nos bottes dès que nous rentrons dans son champ d’action et défonçant méthodiquement tout élément se trouvant sur son passage (souches, branches, «balle » ). Les coatis adorent l’eau et font souvent trempette dans les bassines que nous leur apportons.

 

Pinky et son joli nez rose en pleine sieste

 

Stinky, le coati le plus cordial

 

Spikey, notre petit hyperactif

 

Les singes-araignées sont trois femelles. Maria, la plus âgée, est aussi la plus lourde et la plus débrouillarde : elle manie superbement sa laisse et si elle se retrouve emmêlée, réussit la plupart du temps à trouver comment revenir sur ses pas pour défaire la corde. Mika, souvent en recherche de câlins et qu’il faut décourager de venir au contact humain, alors qu’elle aimerait bien faire une sieste sur nos genoux, c’est aussi la plus gourmande et elle n’hésite pas à voler la nourriture de ses petits camarades si ceux-ci ne sont pas assez rapides à la consommer. Emy, la petite dernière, bien plus légère et encore en croissance, n’est pas attachée pendant le jour : elle ne va jamais loin de ses deux aînées et se balance de branche en branche avec aisance. C’est aussi la plus peureuse quand nous allons faire des balades en forêt, à peine à quelques centaines de mètres de leur zone habituelle ; Emy essaye par tous les moyens de grimper sur ses humains-accompagnateurs et s’agrippe fortement à leurs épaules, refusant de grimper aux arbres alentours. Daphné en fit les frais dès le premier jour : les singes n’ayant aucune notion d’hygiène et Emy ne voulant absolument pas descendre de ses épaules lors d’une marche, sa chemise (heureusement de seconde main) se retrouva couverte de caca de singe, sympa !

 

Mika, perdue dans ses rêves

 

Maria fait bon usage de sa queue préhensile pour grimper aux arbres

 

Dans la même zone, Morpheus le singe nocturne est laissé libre en début de matinée et fin d’après-midi, avec une « sieste » dans sa cage aux heures les plus chaudes et lumineuses de la journée pour ne pas abîmer ses yeux si sensibles. Il adore jouer avec les signes araignées, un vrai petit diable qui les provoquent puis s’enfuit en bondissant. C’est en même temps un destin un peu triste pour ce singe si social : le pauvre a été récupéré bébé, sans doute perdu par son groupe familial, et n’a pas d’autres singes de son espèce au refuge avec lesquels interagir. C’est pour beaucoup le plus mignon de tous, avec ses grands yeux, ses petites mains et sa fourrure toute douce, mais il faut là aussi résister à l’envie de le câliner pour lui permettre d’un jour retrouver s liberté si l’occasion se présente de rejoindre un groupe de sa race.

 

Morpheus, le plus doux de tous

 

Le reste du temps, nous effectuons des tâches diverses d’amélioration ou d’entretien des installations : nous avons ainsi rénové et rehaussé le grillage de l’enclos à poulets, ceux-ci réussissant régulièrement à s’échapper (à leurs risques et périls, des serpents et petits carnivores rôdant régulièrement dans les parages… et aux nôtres, lorsqu’ils viennent chanter à quelques pas du dortoir avant le lever du soleil !). Certains animaux dormant en cage la nuit, et leur nombre croissant régulièrement, nous avons également participé à la construction d’une nouvelle cage. Enfin, les travaux des champs (le « chaco » comme on l’appelle ici) nous ont occupés pas mal de temps, entre le désherbage entre les pieds de yucca, la plantation de bananiers, l’ouverture d’un nouveau chemin à travers la jungle… Le tout à l’aide du couteau-suisse amazonien, j’ai nommé la machette ! Cet outil sert en effet vraiment à tout : on peut couper des petites herbes, des troncs, récolter des bananes (activité pour laquelle on coupe l’arbre entier !), creuser des trous dans le sol (particulièrement adapté pour des trous verticaux afin de planter des poteaux), ouvrir des noix de coco…

 

La machette, le couteau-suisse de la jungle

 

D’autres expériences nouvelles nous attendaient lors de ce séjour. Il nous a d’abord fallu apprendre à vivre avec les insectes, omniprésents : il n’est de plus pas possible de mettre du répulsif quand on travaille avec les singes, ce produit étant toxiques pour eux. Les mouches des sables et moustiques s’en sont donc donnés à cœur joie sur les rares parties exposées (visage, cou, main, avant-bras). Daphné, fidèle à sa réputation, réussit à se faire piquer 3 fois par des abeilles. La nuit, des tarentules grosses comme la main sortent de leur terrier pour se balader et il n’est pas rare de faire leur rencontre. Nous avons pu profiter de superbes couchers et levers de soleil, avec une lumière chaude propre à ces latitudes, sur un panorama splendide. Le groupe s’est également motivé un soir pour une balade de nuit dans la forêt, à la recherche d’animaux nocturnes : à part quelques crapauds et de nombreuses araignées, nous sommes rentrés bredouilles, mais avons grandement apprécié la marche à la lampe frontale et les bruits si présents de la jungle.

 

Bonsoir, Madame Tarentule !

 

On ne peut qu’être impressionnés par le dévouement et la quantité de travail mise en œuvre par l’équipe permanente, tout en se questionnant sur l’impact réel de toutes ces actions à l’échelle du problème. Combien d’animaux tués ou détenus aujourd’hui comme animaux de compagnie pour la vingtaine de rescapés hébergés par le centre ? L’objectif à terme est de réussir à relâcher les animaux dans la nature mais c’est un processus long et complexe. Il faut en effet que les singes provenant de divers horizons recréent un groupe social cohérent et solide, et qu’ils soient tous prêts à être réintroduits ensemble dans leur milieu naturel. Il faudra ensuite « déshumaniser » les singes en réduisant peu à peu la présence humaine autour d’eux et en leur fournissant de moins en moins de nourriture pour qu’ils soient obligés d’apprendre à être totalement autonomes.

Ces deux semaines sont passées si vite, dans un cadre incroyable et une ambiance sympathique, des journées intenses mais ponctuées de discussions animées, rires et jeu de cartes. Et quelle chance d’avoir pu travailler avec des singes, d’avoir pu observer leurs réactions, leurs comportements et à quel point ils nous ressemblent par certains côtés. Ceci est particulièrement vrai pour les singes araignée ou capucins, les singes les plus intelligents du nouveau monde, qui essaient d’ouvrir les serrures avec les clés suspendues au crochet…

 

Plus de photos de l’association ONCA, c’est par ici !

 

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Infos pratiques

Transport :

  • De La Paz à Rurrenabaque :
    • Bus : départ à 14h de la Calle Virgen del Carmen dans le quartier de Villa Fatima. Plusieurs compagnies proposent le trajet, nous avons pris Vaca Diez qui avait un confort correct. Durée 15 heures, arrivée 6 heures du matin à Rurrenabaque. Pause dîner prévue à Caranavi mais nous avons préféré prendre nos provisions et pensons avoir bien fait. Coût de 70 BOB par personne.
    • Avion : 4 vols par jour. Durée 45 minutes. Coût : de 600 à 800 BOB pour un aller simple.
  • De Rurrenabaque à La Paz : tous les bus partent le soir entre 18h et 21h, du terminal de transport de Rurrenabaque (situé à 3 km du centre-ville, 5 BOB le trajet en moto taxi pour s’y rendre). Nous avons pris la compagnie Trans Totaï, très similaire à Vaca Diez, départ 18h.
  • De Rurrenabaque à ONCA : 15 minutes en pirogue en amont sur le Rio Beni. Si les responsables ne peuvent pas venir vous chercher avec la barque de l’asso, négocier au port un trajet avec un local qui remonte la rivière (coût 10 à 15 BOB par personne).

Volontariat :

  • ONCA (Organization for the Natives and Conservation of the Amazon) : association fondée en 2012 avec le but de protéger l’environnement et de créer un refuge pour animaux sauvages. Lors de notre passage, le centre accueillait des singes et des coatis (une trentaine d’animaux au total). Le volontariat consiste en différents travaux, du nettoyage des cages et surveillance des animaux à des travaux de jardinage ou construction. Coût de 50 BOB par jour par personne incluant l’hébergement, les 3 repas et les frais de fonctionnement. Pour plus d’information : oncaorg.org

 

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