Suivant nos découvertes de la tumultueuse Bogota et de la splendide Carthagène, Medellin n’avait suscité pour nous que de faibles attentes, constituant surtout une porte d’accès vers la zone caféière et le sud du pays. Pourtant, la ville nous a séduits malgré nous, si ce n’est par sa beauté, surtout par son âme et son énergie. De son isolement géographique à son modernisme avant-gardiste en passant par son statut de capitale mondiale du crime, découvrez avec nous l’histoire trouble mais passionnante de la capitale paisa !
C’est après 14 pénibles heures dans un bus de nuit frigorifique (merci l’air conditionné !) en provenance de Carthagène que nous découvrons Medellin, pas encore tout à fait réveillés. Encore éblouis par le charme colonial de la perle des Caraïbes, cette nouvelle étape pour deux jours dans une nouvelle mégalopole ne s’annonçait pas comme l’arrêt le plus excitant de notre périple colombien. Notre première impression visuelle semble le confirmer : Medellin ne saurait être qualifiée de « belle ». Toutefois, sa topographie interpelle, la partie centrale de la ville suivant un axe nord-sud le long d’une étroite vallée, épaulée par des milliers de maisonnettes de briques qui grimpent à l’assaut des montagnes, accrochées comme des moules sur leur rocher. A notre descente du bus, nous avons la joie de pouvoir transiter jusqu’à notre hôtel… dans une rame de métro absolument impeccable ! C’est donc par le rail que nous pénétrons dans l’intrigante deuxième ville la plus importante du pays…
Les petits taxis jaunes, un autre moyen de déplacement pratique !
Une genèse improbable
Historiquement, l’accès à Medellin n’a pourtant jamais été aisé. La ville est construite dans un bassin situé au beau milieu de la Cordillère des Andes Occidentale, site initialement peu attractif pour les colons espagnols. Sa fondation remonte donc seulement à 1616, soit plus de 80 ans après les premiers bastions de la côte caribéenne, et ce principalement à l’initiative de groupes en délicatesse avec les Rois Catholiques : les Basques et les Juifs Espagnols. De cet isolement géographique et politique est née une culture propre : la cultura paisa. Pourtant, la région d’Antioquia est loin d’être dépourvue de ressources… C’est d’abord l’or qui fait la richesse des colons pendant environ trois siècles, avant que le boom mondial de la consommation de café à partir de 1850 n’assure la prospérité la région, idéale climatiquement pour la culture de ce nouvel or noir. Ses conditions météorologiques douces valent d’ailleurs à Medellin le surnom de « Ville à l’Eternel Printemps ». Très vite, la nécessité d’exporter les sacs d’arabica aux Etats-Unis et en Europe impulse le développement du chemin de fer, infrastructure qui permettra progressivement l’essor économique de Medellin et le développement de nombreuses autres industries comme le textile. Cette histoire, faite d’isolement, d’indépendance et de succès entrepreneuriaux, explique en grande partie le sentiment actuel de supériorité des paisas vis-à-vis du reste de leurs compatriotes, y compris de Bogota !
La Cathédrale Métropolitaine de Medellin, une nouveauté du XXème siècle
Exemple typique de Pueblito Paisa au sommet du Cerro Nutibara
L’ancien Palais National, reconverti en galerie commerciale de mode
Du pire au meilleur ?
Malheureusement, l’histoire plus récente de la ville est étroitement associée à l’un des fléaux qui nuit le plus à ses habitants au quotidien et à l’image de la Colombie sur la scène internationale : le trafic de drogue. Avec en figure de proue locale le tristement célèbre Pablo Escobar, surnommé El Patrón, l’un des plus puissants barons de la drogue que le monde ait jamais connu. Identifié comme la 7ème fortune mondiale en 1989 par le magazine Forbes, on estime qu’il fournissait 80% de la cocaïne mondiale à cette époque ! La production et la transformation de la feuille de coca sont inévitablement liées aux dramatiques conflits armés qui ont endeuillés l’actualité colombienne depuis 50 ans, impliquant guerilleros d’extrême-gauche (FARC, ELN, etc.), paramilitaires d’extrême-droite, milices armées directement par les cartels et forces de police institutionnelles. Ces entités s’alliant et s’entretuant simultanément au gré d’intérêts particuliers fluctuants… Conséquence directe : Medellin était considérée officieusement comme l’une des villes les plus dangereuses du monde jusque dans les années 1990. A titre illustratif, le nombre d’homicides annuels, principalement imputé au trafic de drogue, avait atteint un taux record de 390 pour 100 000 personnes.
A l’aune de cette situation en toute fin de XXème siècle, la transformation exceptionnelle opérée par la cité ces vingt dernières années est tout simplement incroyable ! Nous avons passé plus de 4h à déambuler dans le centre-ville avec un groupe de touristes mené par un guide local, chose tout simplement impensable il y a peu. Cette révolution initiée par les pouvoirs publics fut principalement effectuée via deux approches complémentaires : la revitalisation des anciennes zones de non-droit appelée « architecture démocratique » et l’éducation, avec par exemple la construction de bibliothèques dans les quartiers les plus difficiles de la ville. Aujourd’hui, tout n’est pas encore parfait et la réalité reste contrastée : l’activité est bourdonnante mais la ville compte plusieurs milliers de mendiants ; seulement 550 homicides ont été comptabilisés l’année dernière, chiffre toujours élevé mais en net recul par rapport à il y a quelques années ; et la prostitution a pignon sur rue, jouxtant notamment les principales églises de la ville ! Malgré cela, Medellin reste la seule ville de Colombie dotée d’un métro, d’un tram et de plusieurs téléphériques interconnectés. Le recyclage des déchets est systématique, plus avancé que ce que nous avons constaté dans des pays comme l’Australie. Et, cerise sur le gâteau, la ville a même été élue capitale mondiale de l’innovation en 2013 par une sérieuse étude du Wall Street Journal.
L’Oiseau de Paix de Botero, symbole de Medellin : l’ancien détruit par une bombe, le nouveau droit et fier
Des fleurs en hommage à une victime récente nous rappellent que les vieux démons restent encore présents…
Le Parc des Lumières, ancien quartier général des cartels désormais parfaitement réhabilité
Le téléphérique, emblématique du renouveau urbain de la ville
Culture paisa, représentative de la Colombie moderne
Conséquence logique de son histoire tourmentée, Medellin est une ville plus à vivre et sentir qu’à visiter à proprement parler. La montée en téléphérique jusqu’au quartier haut-perché de Santo Domingo – incluse dans le ticket de métro – est une expérience à part entière. Survoler ces milliers de toits de briques est un spectacle visuellement unique, dans un lieu où les touristes et même la police étaient encore récemment personae non gratae. Un peu plus haut, le Parque Arvi est le poumon vert de la ville, aujourd’hui protégé comme parc national et donné à découvrir par un groupe de guides dont l’expertise en écologie et préservation de l’environnement n’a rien à envier à nos standards européens. Nous avons également la chance de tomber en pleine période de la Fête des Fleurs (Feria de las Flores), un festival annuel qui célèbre cette autre fierté régionale qu’est la floriculture. Cet évènement nous permet de profiter de concerts, saynètes de théâtre et autre spectacles de danse traditionnelle en plusieurs points de la ville, et culminera peu après notre départ avec le Desfile de los Silleteros, durant lequel des centaines de paysans défilent en portant sur leur dos un énorme tableau floral.
Ainsi, Medellin est à l’image de la Colombie, fruit d’un étrange mélange entre les violences les plus horribles et une indéboulonnable joie de vivre au quotidien. Les paisas et les Colombiens en général continuent d’avancer, se raccrochant aux petites branches de la vie qui égaient leur quotidien : exploits sportifs des footballeurs ou cyclistes, fierté pour leur culture régionale, projets urbains qui donnent du sens incarné par cette ligne de métro si respectée. En bref, loin d’être une ville touristique « classique », Medellin nous a agréablement surpris au point de nous faire prolonger notre séjour et a constitué une passionnante plongée dans le mode de vie des Colombiens aujourd’hui !
Le Chien de Botero monte la garde devant le Palais de la Culture
Santo Domingo, quartier historique échelonné tout le long de la colline
L’un des concerts organisés pendant la Feria de las Flores
Une troupe d’acteurs boteresques en pleine performance !
Plus de photos de Medellin, c’est par ici !
—-
Infos pratiques
Transport :
- De Carthagène à Medellin : trajet en bus de nuit effectué avec la compagnie Rapido Ochoa. Départ à 18h30 supposé (léger retard), arrivée 8h45 au Terminal Nord de Medellin, soit environ 14h de voyage. Coût assez élevé de 105 000 COP par personne, le moins cher que nous ayons trouvé & négocié. Réserver sur Internet via le site de la compagnie peut permettre d’avoir un tarif un peu plus avantageux.
- De Medellin à Manizales : taxi depuis notre hôtel proche de La 70 au Terminal Sud pour 11 000 COP. Ensuite, trajet jusqu’à Manizales via la compagnie de bus Autolegal pour 30 000 COP par personne. Compter 5h pour un trajet normal (sauf éboulement bloquant la route !).
Hébergement : très agréable séjour à Tu Casa Natura, une sorte de grand appartement familial réaménagée en maison d’hôtes. Propreté impeccable, cuisine bien équipée à disposition, sofa et salle à manger également. En bonus, possibilité de faire une lessive gratuitement sur le toit-terrasse ! Prix de 50 000 COP par nuit pour une chambre double ou 23 000 COP par nuit par personne pour une chambre partagée de 3 lits simples.
Visites / activités :
- Real City Tour : excellent tour du centre-ville à pied guidé par de jeunes volontaires parlant parfaitement anglais ! Environ 4h de balade passant par tous les sites majeurs de Medellin, explications sans tabous de la vie locale et nationale. Réservation maximum un jour et demi avant via le site http://www.realcitytours.com/. Pourboire (largement mérité) demandé en fin de tour.
- Parque Arvi : zone de type alpine protégée au nord-est du centre-ville. Accès depuis l’arrêt de métro Acevedo via le téléphérique jusqu’à Santo Domingo, puis un autre téléphérique – la Ligne L – jusqu’au parc. La montée jusqu’à Santo Domingo est incluse dans le ticket de métro. Un trajet simple (montée ou descente) jusqu’au parc coûte ensuite 5200 COP l’aller simple. Sur place, des guides mènent de courts tours explicatifs du parc, tarifs entre 5000 et 7000 COP par personne.
- Cerro Nutibara : colline située au sud-ouest du centre-ville qui donne un superbe point de vue sur la ville. La reproduction d’un village typique (Pueblito Paisa) est mignonne mais un peu artificielle. Le Musée de la Ville (entrée 1000 COP) est minuscule mais donne à observer une belle maquette de la cité. L’accès à pied au sommet de la colline est possible, mais ni évident ni très rassurant. Nous recommandons plutôt de vous y rendre en taxi.
- Feria de las Flores : programmation ad hoc durant la semaine d’évènement, généralement début août. Demander une brochure papier au Punto de Informacion Turistica ou aller voir le site web de la feria.
Super intéressant! Merci de partager avec nous vos découvertes inattendues, insolites, belles…et de nous faire ressentir vos émotions.
Coucou Anne,
Ravis que l’article t’ait plu !
A bientôt,
D&J