L’air sec est trouble, densifié par la poussière et le sable soulevés par le vent. La visibilité est réduite mais la luminosité, malgré l’épaisse couche de nuages clairs, aveuglante. Notre bus traverse les quartiers périphériques de la ville depuis déjà de longues minutes ; les maisonnettes de briques à 2 étages, sans toiture ni peinture pour la plupart, défilent et se ressemblent tristement. Le taxi vieillot qui nous éloigne du terminal de bus déprimant zigzague dans le trafic infernal de la fin d’après-midi. Après 8h de route éreintantes, nous pénétrons enfin dans le centre historique de Trujillo, dont les abords désertiques et la cacophonie urbaine auraient presque réussi à nous faire passer notre chemin…
Trujillo
Malgré cette entrée en matière un peu rebutante, nous avions inscrit cette étape à Trujillo depuis longtemps sur notre itinéraire, après avoir été contraints d’y renoncer il y a 8 ans lors de notre premier voyage au Pérou. Il faut dire que cette ville de 800 000 habitants, située sur la côte pacifique nord du pays, est une perle rare d’un point de vue historique. Fondée en 1534 par Francisco Pizzaro et nommée d’après le lieu de naissance du fameux conquistador en Estrémadure espagnole, elle est un lieu de peuplement millénaire, et ce malgré le désert alentour. Le Rio Moche et l’accès à la mer ont en effet toujours fourni aux hommes de la région eau et nourriture en abondance, permettant le développement de Trujillo comme centre politique et culturel majeur, ce qui resta le cas durant l’époque coloniale. Autre fait marquant : la cité fut au XIXème siècle la première du Pérou à déclarer son indépendance vis-à-vis de l’Espagne.
Le cœur historique de Trujillo, de forme octogonale, garde les traces de ce passé glorieux et constitue le seul havre de paix de cette ville tentaculaire et congestionnée. De nombreuses maisons coloniales et églises subsistent, bâtiments polychromes aux couleurs vives qui égaient des ruelles tracées au cordeau. Ces teintes pastel et les fenêtres des anciennes demeures espagnoles, protégées de somptueuses grilles en fer forgé, donne cette touche unique à la ville et la distingue de celles que nous avons déjà pu visiter en Colombie ou en Equateur. Malheureusement pour nous, le calendrier a mal fait les choses : la Plaza de Armas, considérée comme l’une des plus harmonieuses d’Amérique du Sud, est en rénovation intensive, nous privant de cette jolie vue et de la traditionnelle cérémonie du lever de drapeau. Pire, nous sommes dimanche, et comme souvent sur ce continent, la ville tourne au ralenti : point de musées, peu de commerces ouverts. Heureusement que la sortie de la messe et ses processions d’images saintes donnent une certaine animation aux rues centrales. Nous parcourons donc l’intérieur des remparts (disparus à 95%) en long, en large et en travers, admirant les façades des nombreuses églises depuis l’extérieur, et rentrant plus tôt qu’à l’accoutumée profiter de notre hôtel.
Première vue sur la vieille ville : la récompense après une journée de route !
Les églises de Trujillo : morceaux choisis
Heureusement, cette déception relative du centre de Trujillo n’est pas trop préjudiciable. L’intérêt principal de la zone réside en effet au moins autant dans les sites archéologiques pré-incas des alentours. Cette partie de la côte nord du Pérou, bien que d’apparence terreuse et aride aujourd’hui, a été habitée depuis des millénaires par de nombreuses civilisations évoluées. Et celles-ci ont laissé des traces : les archéologues auraient identifié plus de 200 sites habités dans la vallée du Rio Moche, une oasis plus fertile qu’il n’y paraît !
Chan Chan, l’immense cité d’adobe des Chimus
Nous choisissons d’explorer les ruines les plus emblématiques via un tour à la journée, qui au-delà du fait de fournir un guide qualifié se révèle beaucoup plus pratique d’un point de vue transport. La matinée est consacrée à la culture Chimu, qui domina la région entre 850 et 1500 après JC. Notre premier arrêt est la Huaca del Arco Iris (Tombe de l’Arc-en-ciel), datant du XIIème siècle. Cet édifice carré entouré de hauts murs défensifs était jusqu’à récemment l’un des temples les mieux préservés du coin car il resta longtemps enterré sous des dunes de sable protectrices. Hélas, la violence du phénomène El Niño a considérablement endommagé le site ces dernières années. Initialement peinte, la huaca ne présente aujourd’hui plus beaucoup de pigments. Sur les murs, d’intrigantes figures monocéphales et bicéphales permettent de laisser libre cours à notre imagination pour tenter de percer le mystère de ces représentations ancestrales. Le symbole de l’arc-en-ciel est également omniprésent, ce qui a conduit les archéologues à penser que ce temple était peut-être dédié à la fertilité. Une entrée en matière intéressante ! Peu éloignée, notre deuxième site est la Huaca Esmeralda, elle aussi enterrée sous le sable et redécouverte par hasard dans les années 1920. Quelques frises exposant poissons, filets de pêche et oiseaux marins témoignent de la vie Chimu orientée vers la mer, mais sont dans l’ensemble peu impressionnantes. Notre curiosité fut plus attisée par la rencontre avec une espèce spécifique de chiens péruviens…. sans poils, qui se prélassent sur le sol terreux devant le temple que par les fresques !
Les intrigantes figures de la Huaca del Arco Iris…
Clou du spectacle matinal, nous rejoignons ensuite Chan Chan, la capitale Chimu qui fut la plus grande cité précolombienne à son époque ! Construite vers 1300, elle abritait environ 60 000 personnes et d’immenses richesses jusqu’à l’arrivée des conquistadors ; le site est de nos jours connu comme « la plus grande cité d’adobe au monde », ses murs étant constitués à 100% de terre ! Malheureusement, ici aussi le capricieux El Niño a laissé libre cours à sa folie ravageuse et les importantes dégradations ont conduit les autorités à recouvrir une partie du site sous des bâches imperméables. De la surface originale de la cité de 25 km² subsiste aujourd’hui seulement 14 km² d’espace « exploitable », dont 10 km² sont protégés de manière intangible (c’est-à-dire à l’abri des squatteurs illégaux qui vivent sur le reste de cette zone). Le Palacio Nik-An, l’un des 10 palais encore visible, est le seul à être partiellement rénové et visitable. Ce fut un lieu cérémoniel d’importance, comme en témoignent l’imposant mur d’enceinte, l’entrée monumentale et les (très) longues allées. A l’intérieur de ces murailles – initialement hautes de plus de 10 mètres ! – notre guide nous relate le mode de vie et surtout de culte des Chimus. Les salles sont nombreuses, mais il est doublement frustrant de savoir que seul 30% de ce site principal a été réellement étudié, et que la durée de la visite a dû être réduite d’une heure à 30 minutes à cause des ravages de la pluie. Sur les murs, les frises s’ornent de poissons et fruits de mer, indice supplémentaire du régime alimentaire des Chimu, un peuple de pêcheurs. Malgré le niveau de dégradation important des murs d’adobe et certaines rénovations un peu trop grossières qui n’ont pas la fluidité des rares frises originales encore présentes, le gigantisme du site reste impressionnant d’un point de vue intellectuel. Nous ne pouvons cependant pas éteindre un léger sentiment de tristesse à constater que le Pérou n’a pas les moyens financiers pour protéger et étudier efficacement tous ses sites grandioses classés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO…
Dans les allées de Chan Chan…
Les poissons Chimu qui remontent le courant !
Les récentes protections, un mal nécessaire pour la cité d’adobe
Huanchaco, royaume des chevaux de paille
Notre pause-déjeuner nous emmène à Huanchaco, petite ville côtière située à moins de 10 kms de Trujillo. Jadis une bourgade de pêcheurs, la commune attire désormais les touristes pour ses vagues propices du surf, ses restaurants de fruits de mer, mais surtout ses traditionnels caballitos de totora, sorte de barques de roseaux que les navigateurs enfourchent avant de prendre le large. Autrefois principal moyen de locomotion des locaux, les « petits chevaux » transportent désormais surtout des visiteurs ponctuels en gilets de sauvetage fluos ! Nous zappons le restaurant imposé pour pique-niquer sur la jetée, devant les pélicans qui contrôlent fièrement le bord de mer. L’abrupte falaise côtière, le temps maussade et la plage sans charme ne nous font pas regretter de ne pas avoir séjourné plus longtemps dans cette cité « balnéaire » !
Dans le vent sur la jetée !
Les caballitos de totora dans leur étable
Huacas del Sol y de la Luna, centre de commandement de l’oasis Moche
L’après-midi est consacrée au peuple Moche, qui se développa principalement du Ier au VIIIème siècle après JC, et donc antérieurement aux Chimus. Les huacas du soleil et de la lune furent bâties au pied du Cerro Blanco il y a plus de 1500 ans, soit plus de 700 ans avant Chan Chan. Malgré son ancienneté, cette culture a eu une production artistique impressionnante, souvent bien plus élaborée que les civilisations postérieures. L’excellent musée du site montre d’ailleurs des poteries parmi les plus fines que nous ayons jamais vues : prêtre aveugle, joueurs de musiques, étapes de préparation de la coca… Dommage que les photos y soient interdites… Ce musée démontre toutefois le potentiel atteignable par d’autres sites péruviens si une gestion privée avec plus de moyens en assurait le contrôle. La Huaca del Sol est pour sa part la plus grande structure précolombienne du Pérou : les archéologues ont estimé que plus de 140 millions de briques de terre furent nécessaires à sa construction ! Hélas, la plupart des pyramides se sont depuis écroulées, et ce temple s’aperçoit uniquement depuis le perchoir de la Huaca de la Luna ; les excavations se poursuivent toujours à un rythme lent.
Huaca de la Luna, plus petite, est beaucoup plus intéressante. Elle fut un important lieu de culte et de sacrifices, et plusieurs pièces contenant céramiques, métaux précieux et sculpture murales colorées typique de l’art Moche ont été excavées. De nombreuses frises furent recouvertes par les murs ou les niveaux successifs du temple au fil des âges, se dévoilant de nouveau – remarquablement préservées – au fur et à mesure des travaux de recherche. La tête du Dieu Moche de la Destruction, le Tableau des Mythes ou encore la représentation de la cosmologie Moche à 7 niveaux constituent de véritables merveilles archéologiques !
Le Dieu Destructeur, caché / trouvé !
Le Tableau des Mythes dans la lumière de fin de journée
A l’heure du bilan, Trujillo ne restera peut-être pas l’étape la plus extraordinaire de notre deuxième passage au Pérou. La ville se révéla moins intéressante qu’attendue, notamment du fait de circonstances ponctuelles (visite un dimanche, météo capricieuse, rénovation massive de la Plaza de Armas encore en cours). Les ruines alentours valent néanmoins le détour : très différentes de Kuelap ou du Macchu Picchu, elles prouvent une fois de plus toute la richesse des cultures préhispaniques au Pérou. A ne pas manquer pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’histoire et aux légendes des civilisations précolombiennes du pays !
Exemple d’architecture coloniale à Trujillo
Plus de photos de Trujillo, c’est par ici !
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Infos pratiques
Transport :
- De Cajamarca à Trujillo : nombreuses compagnies qui partent toutes du même endroit, sur l’avenue Atahualpa, au sud-est du centre-ville. Nous avons effectué le trajet avec PeruBus, départ 9h15 pour une arrivée vers 17h, soit une durée réelle de 7h30 (au lieu des 6h annoncées). Coût de 20 PEN par personne. A l’arrivée à Trujillo, compter 5-6 PEN en taxi pour rejoindre la vieille ville.
- De Trujillo à Huaraz : trajet avec la compagnie Linea en bus VIP ! Départ à 21h30, arrivée à 5h15 du matin pour une durée d’un peu moins de 8h. Prix de 50 PEN par personne. A Trujillo, le taxi (de nuit) jusqu’au terminal Linea coûte 7 PEN.
Hébergement : chambre double basique avec salle de bains négociée à El Encanto pour 40 PEN la nuit. Bonne situation géographique, à quelques minutes à pied de la Plaza de Armas.
Visites / activités :
- Tour « Completisimo » obtenu en tarif last minute à 40 PEN par personne hors entrées des différents sites. Le tour comprend les visite de Huaca del Arco Iris, Huaca Esmeralda, Chan Chan et le petit musée attenant (matinée), pause-déjeuner à Huanchaco (nourriture non comprise) et Huacas del Sol y de la Luna avec leur excellent musée (après-midi). Conseil : prenez de quoi grignoter le midi car le restaurant est cher et l’arrêt à Huanchaco assez court.
- Chan Chan : l’entrée aux trois sites Chimu du matin coûte 10 PEN par personne. Ticket pouvant être acheté à chacun des sites, pour notre part à la billetterie de Huaca del Arco Iris.
- Huacas del Sol y de la Luna : l’entrée de Huaca de la Luna et du musée est à 15 PEN par personne.